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Entretien avec Claude Pelopidas, sur un bout de comptoir à l'aéroport de Larnaca, Chypre.

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D'où est venue cette idée un peu folle de faire le tour du monde des murs de séparation en présentant ta pièce ?

Le projet est né de la lecture de l'ouvrage Des murs entre les hommes, écrit par Alexandra Novosseloff et Franck Neisse. On y trouve des témoignages tellement incroyables que je me suis dit premièrement qu'on ne peut pas rester indifférent et ensuite qu'on doit dire ces choses. Au moins les dire, sans donner de leçon, sans vouloir forcément polémiquer, pour témoigner...

Mais dans quel but, au fond ?

Le but, c'est d'ouvrir les débats mais évidemment, la question qu'on se pose tout de suite, c'est de savoir comment (sourire). Pour moi, l'idéal, c'est de passer par l'artistique, tout simplement parce que ça donne un vrai recul sur les choses. Quelle meilleure manière de toucher les gens que le cinéma, le théâtre, les arts ? Alors ça peut paraître bizarre de dire ça mais qu'est-ce qu'on peut faire de plus, à notre échelle, que de toucher le public, qui va rire avec nous de ces situations absurdes, tellement absurdes... Mais la finalité, c'est d'abord de s'en moquer et puis d'amener les gens à réfléchir par eux-mêmes. On le voit ici, à Chypre, ce sont les Chypriotes qui ont la solution entre leurs mains. Les politiques peuvent prendre de bonnes décisions, ils peuvent être en avance, mais si le peuple ne suit pas, ça ne marchera pas...

 

Dans « Duo pour un mur », le vagabond commence par découvrir que le mur existe, ensuite qu'il sépare les gens, puis il choisit d'en rire pour le défier avant de se heurter à sa dimension tragique... C'est ce mouvement de pensée que tu proposes aux spectateurs ?

Quand on a lancé le projet, on s'est dit qu'on allait surtout lancer le débat en France, où il n'y a pas de mur en béton même si on en trouve d'autres. A Chypre, en Palestine, on pensait que personne ne nous avait attendu pour ouvrir le débat... On s'est aperçu qu'en fait, eh bien non, il n'est pas forcément ouvert ce débat ! De ce point de vue, la pièce renvoie chacun à ce qu'il pense du mur et l'amène à y réfléchir. La meilleure façon de faire tomber ces murs, ce n'est pas de les contourner, c'est de les prendre de face ! Il faut en parler, il faut crever l'abcès ! En venant sur place, nous faisons évoluer notre spectacle avec les témoignages recueillis, parce qu'on ne se contente pas de jouer, on parle beaucoup, on discute avec les gens, et ça les fait bouger aussi... On a pu le vérifier à Chypre, où quand même beaucoup de gens sont favorables au mur, des deux côtés.

 

Les Chypriotes ont eu l'occasion de casser le mur en 2003, comme les Berlinois en 1989, mais ils ne l'ont pas fait...

Exactement, ils ont raté une occasion formidable! Ce sont les politiques qui ont ouvert le mur, les Chypriotes ont montré de l'enthousiasme pendant quelques jours mais ils ne l'ont pas cassé et résultat, le mur est encore très présent dans la vie quotidienne. Ce qui illustre notre propos, à savoir que le mur existe d'abord dans les têtes avant d'être construit en béton. On dit que les communautés vivaient ensemble à Chypre avant 1974, je pense qu'ils vivaient plutôt côte à côte. Et il suffisait d'appuyer sur le bon bouton pour déclencher la partition. Une fois que le mur est construit, c'est fini, on ne peut plus se faire une opinion de l'autre qu'à travers des rumeurs, des articles de presse orientés... Et le mur fait fatalement le jeu des extrêmes.

 

Tu revendiques dans ton travail une part de naïveté mais elle vient se heurter à la complexité de la situation sur place, non ?

C'est vrai qu'il y a un petit côté naïf dans tout ça mais il faut faire attention avec ce mot. La naïveté, c'est aussi le rêve et quel grand projet s'est réalisé sans une part de rêve ? IL faut commencer par rêver, sinon, on est foutu ! Et puis de toute manière, nous ne prétendons pas apporter la paix... Penser qu'on va arriver ici avec des solutions, ça ne serait même pas naïf, ça serait idiot. Nous sommes plutôt là pour discuter avec les gens, en commençant par poser notre drapeau, en pariant sur le fait qu'après chaque discussion, chacun se remet forcément en cause.

 

En Palestine, où le mur est nettement plus "épais" qu'à Chypre, vous avez joué dans un camp de réfugiés palestiniens, comment s'est passée la représentation ?

La première chose à laquelle je pensais en arrivant en Palestine, c'est : comment les gens vont-ils prendre le spectacle ? Comment vont-ils percevoir notre façon de parler de ce mur ? Est-ce qu'il s'intéressent aux autres murs qui existent dans le monde ? Et je m'attendais à tout. A Bethléem, dans le camp de réfugiés où nous avons joué, avec le vrai mur en « fond de scène », cinq minutes avant la représentation, il n'y avait personne... et puis ils sont tous arrivés en même temps, les jeunes, les vieux, les mamans... Ils ont assisté au début de la représentation en silence, ils sont vraiment rentrés dans le spectacle mais à un moment, l'électricité a sauté et la coupure a duré un quart d'heure. On a repris là où on s'était arrêté mais les spectateurs, eux, n'ont pas arrêté de parler pour autant. Et jusqu'à la fin, ça a été un énorme bordel, les enfants jouaient devant nous, les gens passaient, des pierres ont volé de l'autre côté du mur, c'était une scène incroyable...

 

Finalement le message de la pièce est simple, mais la tournée vise à montrer que, sur le terrain, les situations sont très complexes. C'est ce que vous souhaitez restituer à Aix-en-Provence en mettant sur pied une exposition présentant les photos, vidéos et entretiens réalisés dans les pays visités ?

Tous les murs se ressemblent et d'ailleurs on constate qu'il y a toujours un côté riche et un côté pauvre. Mais chaque mur est d'abord un cas particulier et dans chaque pays, il faut beaucoup écouter les gens et tenir compte de leurs réactions. Par exemple, ce que nous ne savions pas avant de jouer en Palestine, du moins pas à ce point, c'est qu'Israël est seul à avoir les clés de la solution... En fait, on est tous pareil, on fonctionne avec des clichés. Et l'idée, au-delà de la dénonciation générale des murs, qui est le propos de la pièce, c'est aussi de montrer de quelle manière on en arrive là, en expliquant les nuances. Alors on espère effectivement pouvoir restituer aux Aixois ce qu'il nous aura été donné de voir et d'entendre pendant cette tournée.

 

Propos recueillis par Joël Rumello