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Jouer contre les murs de la honte

Par jorumello le dimanche 06 septembre 2009, 09:02 - Lien permanent

La compagnie aixoise "Ainsi de suite" s'est lancée dans un étrange tour du monde. Elle ambitionne de jouer in situ une pièce dénonçant les murs de séparation, partout ou ils se dressent. A Chypre et en Palestine au mois de juin dernier, à Berlin cet automne, un seul credo : montrer que le mur existe d'abord dans les têtes pour mieux le démonter...

 

Un jour, à son réveil, le mur était là. Tellement haut, épais et menaçant que le vagabond s’empressa d’en rire pour ne pas avoir à en pleurer. De l’autre côté, quelques notes de musique s’élevaient, de quoi lui donner la force de franchir l’infranchissable et de séduire la jolie violoniste. Oui mais voilà, les histoires de murs finissent mal, en général...

Comme Charlie Chaplin, qui trône dans son panthéon décousu, Claude Pelopidas aime bien faire de la politique sans avoir l’air d’y toucher, balancer deux, trois vérités avant de glisser sur la peau de banane qui traînait sur scène. Sous ses allures de fable moderne, son Duo pour un mur dénonce ainsi, par l’absurde, les murs de séparation qui se multiplient depuis quelques décennies sur tous les continents, de la Corée du Nord à la Chine en passant par le Proche-Orient.

On peut y voir une manière de se donner bonne conscience à peu de frais. On peut, sauf que... Sauf que la compagnie Ainsi de suite, créée il y a quinze ans à Aix-en-Provence par cet artiste touche-à-tout, se risque régulièrement à dresser ses tréteaux dans les points chauds de la planète. Histoire de vérifier que le théâtre populaire est à même d’interroger le monde dans lequel nous vivons, et partant, de le changer, fusse un chouïa. Claude Pelopidas s’est donc mis en tête de balader sa pièce sans paroles partout où les hommes ont bâti des frontières en béton, rien de moins.

"Contrairement à ce qu’on pourrait penser, nous les premiers, la question du mur ne fait pas forcément débat dans ces pays-là, raconte-t-il. De ce point de vue, la pièce renvoie chacun à ce qu’il pense du mur et l’amène à y réfléchir. En venant sur place, on ne se contente pas de jouer, on discute avec les gens, on les écoute et ça les fait bouger aussi... Au mois de juin, on a pu le vérifier à Chypre, où quand même beaucoup de gens sont favorables au mur des deux côtés".

Dans cette île de Méditerranée orientale, un "mur" de 180 kilomètres, fait de barbelés, de sacs de sables et de bidons, sépare depuis 1974 la partie sud de la partie nord, occupée par la Turquie. La guerre ne menace plus, mais Chypriotes grecs et Chypriotes turcs se regardent toujours avec méfiance de part et d’autre de cette "ligne verte" qui balafre Nicosie, "dernière capitale divisée du monde" comme on peut le lire aux check-point ouverts depuis 2003 en signe de détente. Accueillie à Chypre par le Centre permanent de rencontre de la jeunesse de Méditerranée orientale (Crejmo), une association créée à Aix-en-Provence par un ancien ambassadeur, la compagnie a donné deux représentations, l’une côté grec, l’autre côté turc. Non sans se heurter aux difficultés matérielles, mais en rencontrant nombre d’hommes et de femmes de bonne volonté.

Le changement de décor a été brutal. Quelques jours plus tard, cette tournée d’un genre particulier conduisait la compagnie à Bethléem, dans un camp de réfugiés palestiniens, où la pièce a été jouée au pied du véritable mur de séparation. Et l’équipe, qui s’est frottée aux abus d’autorité subis au quotidien par la population locale, n’est pas prête d’oublier ces quelques jours en Palestine. "Chaque mur est un cas particulier et ce que nous ne savions pas avant de jouer en Palestine, du moins pas à ce point, c’est qu’Israël est le seul à avoir les clés de la solution, explique avec le recul Claude Pelopidas. Nous envisageons de donner la pièce en Israël aussi mais nous ne savons même pas si ça sera possible tant la question paraît taboue là-bas..."

En attendant, la compagnie Ainsi de suite sera fin octobre à Berlin, pour les 20 ans de la chute du Mur, et devrait se rendre l’an prochain à la frontière américano-mexicaine, où l’élection d’Obama n’a rien changé. Avec le même souci de provoquer le débat et de témoigner. Les entretiens, vidéos et photos rapportés de la tournée nourriront d’ailleurs un web-documentaire qui sera, dès cet automne, accessible à tous les internautes que les murs défrisent...

 

Joel Rumello